L'imposture taromantique (Chapitre III)
Le déclin du Tarot de Marseille dans l'occultisme est-il irréversible ?
Version bêta du livret à paraître, donnée à éditer, à titre exceptionnel et gracieux, à L'Officiel de la Voyance.
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Nous allons dans ce chapitre retracer l'histoire de ces rumeurs pour permettre au lecteur d'en comprendre l'origine. Ce sera donc la suite de notre voyage dans le temps.
Parce que l'histoire ne se réécrit pas, nous nous devons de lui emprunter le plus grand nombre d'éléments possibles pour approcher au mieux l'énigme du tarot.
Jusqu'au XVIIIe siècle, le tarot est perçu comme un jeu de hasard et son sens profond n'est appréhendé que par quelques "Connaissants". Son graphisme subit de sérieuses mutilations et dégradations diverses, entre autres celles destinées à divertir les nobles de la Cour.
Nous tenons à préciser qu'il ne s'agit pas ici de salir la mémoire de tous les occultistes qui se sont penchés sur le tarot. Néanmoins, nous pensons que ce détournement était volontaire pour la majorité d'entre eux. Cette attitude est condamnable dans la mesure où l'intention était une démarche de pouvoir et d'argent.
A n'en pas douter, il est dommageable pour soi de détourner la vision des hommes des confréries de cartiers. Souhaitons qu'une prise de conscience intervienne aujourd'hui pour éviter que l'histoire ne se répète. Il est hélas permis d'en douter au regard de certaines restaurations fantaisistes récentes.
Des personnages clésEn 1781, l'auteur français Court de Gébelin (né aux environs de 1725, mais la date varie selon les sources, et décédé en 1784) revisite le Tarot de Marseille. Le huitième volume de son "Monde Primitif" dans lequel il développe l'origine égyptienne du tarot en une quarantaine de pages influencera les tarologues pendant deux longs siècles. De nos jours, il est encore fréquent de croiser des partisans de cette thèse historique erronée.
Court de Gébelin est un personnage haut en couleurs. Pasteur chargé de missions d'ordre diplomatique, ce franc-maçon et grand érudit s'attache à un projet d'envergure : son œuvre monumentale devait apporter à ses contemporains "la clef de tous les siècles et de toutes les connaissances humaines".
Il prétend que les 22 "lames majeures" sont des hiéroglyphes issus du "livre de Toth" sauvé des ruines des temples égyptiens il y a plus de mille ans. Pour justifier cela, il n'hésite pas à trafiquer les cartes. Il ajoute un zéro à LE FOV et inverse le sens de sa marche, ajoute un pied à la table de LL BATELEVR, redresse LE PENDV, transforme l'oiseau noir de LESTOILLE en papillon, etc. Il interprète ces modifications comme corrections et rectifications des erreurs des cartiers.
Jean-Baptiste Alliette (1738-1791) alias Eteilla, coiffeur de son état, puis prétendu professeur d'algèbre (?) lui emboîte le pas. Il restaure à son tour "la signification" du Tarot de Marseille et établit entre ses "lames" fantaisistes de non moins fantaisistes correspondances avec l'Astrologie et la Kabbale.
Eteilla crée alors son propre jeu portant son nom et lance la mode du tarot divinatoire qu'il baptise "le livre de Toth" ! Dès lors, des milliers de publications seront écrites, démontrant tour à tour l'origine égyptienne du tarot ou encore hébraïque, quand ce ne sera pas arabe, chinoise ou extra-terrestre.
Dans le même ordre d'idées, d'innombrables communautés ethniques, mystiques ou philosophiques (Juifs, Gitans, soufistes, maçons, etc.) en brigueront la paternité. Plus tard, la polémique perdurera entre les Milanais, Marseillais, Parisiens, etc. Toutes ces divagations donneront naissance à une multitude de jeux (plusieurs milliers) étrangers à l'Esprit des confréries de cartiers, seules véritables détentrices du Tarot de Marseille.
Le mot TAROT serait égyptien ethniques ou (TAR : chemin ; RO, ROS, ROB : royal), indo-tartare (TAN-TARA : zodiaque), hébreu (TORA : loi), latin (ROTA : roue ; ORAT : il parle), sanscrit (TAT : le tout ; TAR-O : étoile fixe), chinois (TAO), etc. Certains voient dans le Tarot une œuvre alchimique, kabbalistique, astrologique, arithmomancienne. Chaque société, chaque noyau ésotérique, chaque branche de la magie, chaque Initié, chaque nationalité, chaque artiste sentent alors la nécessité de peindre enfin le vrai Tarot...
De cet enchevêtrement d'interprétations limitées, naïves, fantastiques, mercantiles, pseudo-historiques, romantiques, schizophrènes, vaniteuses ou édulcorées, de cette superposition de dogmatismes et de systèmes, jaillit enfin le TAROT DE MARSEILLE monument authentique, anonyme comme l'est tout art sacré, défini en ces termes par l'occultiste Eliphas Levi :
"C'est un ouvrage monumental et singulier, simple et fort comme l'architecture des pyramides, durable par conséquent comme elles ; livre qui résume toutes les sciences et dont les combinaisons infinies peuvent résoudre tous les problèmes ; livre qui parle en faisant penser ; inspirateur et régulateur de toutes les conceptions possibles : le chef-d'œuvre peut-être de l'esprit humain, et à coup sûr l'une des plus belles choses que nous ait laissées l'antiquité ; clavicule universelle, véritable machine philosophique qui empêche l'esprit de s'égarer, tout en lui laissant son initiative et sa liberté ; ce sont les mathématiques appliquées à l'absolu, c'est l'alliance du positif à l'idéal, c'est une loterie de pensées toutes rigoureusement justes comme les nombres, c'est enfin peut-être ce que le génie humain a jamais conçu tout à la fois de plus simple et de plus grand" ("Dogme et rituel de la haute magie", 1854.)
Malheureusement, E. Levi, comme Gébelin et Eteilla, malgré son immense intuition, dédaigne le TAROT DE MARSEILLE, le trouve "exotérique" et inventant des cartes "ésotériques" selon lui, crée son propre Tarot.
Il met en relation chaque Atout du Tarot avec l'une des 22 lettres de l'alphabet hébreu, méprise les ARCANES MINEURS et place le MAT entre les clefs 20 et 21. Et depuis, bien peu ont su se défaire de cette vision personnelle et littéralement voir le TAROT originel.
Sans vouloir reconnaître que le MAT est un mystère, sans nombre, qui n'est nul part et partout, d'innombrables théories en ont fait LE FOU et lui ont donné le numéro 0 ou 22. Chacun, comme dans "Cendrillon", est prêt à couper un morceau de son pied pour pouvoir chausser la pantoufle de "VERRE" (VAIR).
Afin de faire coïncider le Tarot avec les XXII Sentiers de l'Arbre de la Vie des Dix Séphiroth de la Tradition kabbalistique, Arthur Edwards Waite, occultiste anglais membre de l'Ordre Hermétique de l'Aurore Dorée, invertit les numéros de LA FORCE et de LA JUSTICE, transforme l'AMOUREUX en LES AMOUREUX et falsifie la signification de tous les ARCANES MAJEURS... A.Crowley, quant à lui, occultiste appartenant à l'Ordre du Temple de l'Orient (O.T.O.), change une fois de plus, les noms, la signification et l'ordre des cartes. LA JUSTICE devient L'AJUSTEMENT ; LA FORCE, LA LUXURE ; LA TEMPERANCE, ART ; LE JUGEMENT, AEON. Il élimine les VALETS et les CAVALIERS et en fait des PRINCES et des PRINCESSES...
Il est curieux et révélateur, en observant les différentes variations que les interprètes plus ou moins éclairés font subir au TAROT DE MARSEILLE, de voir comment, recopiant les erreurs de leurs prédécesseurs, ils leur attribuent en fait un sens "traditionnel".
Oswald Wirth, occultiste suisse, maçon et membre de la Société Théosophique, dessinant son Tarot, y introduit non seulement des costumes médiévaux, des sphinx égyptiens, le symbole chinois du Tao, la version du diable de E. Levi, etc., et s'inspire davantage de la maladroite version de Court de Gébelin (voir sa MAISON-DIEU, sa TEMPÉRANCE, sa JUSTICE, son PAPE, son AMOUREUX) que du réel TAROT DE MARSEILLE...
Certains érudits en arrivent à affirmer que le TAROT DE MARSEILLE est une version naïve du Tarot de Gébelin !... Les milliers d'adeptes d'une secte Rose-croix américaine affirment que le Tarot égyptien de R. Falconnier - alors sociétaire de la Comédie Française, il le publia en 1896 et le dédia à A. Dumas fils - constitue l'original du jeu sacré...
Deux siècles de songes et de mensonges. Des monceaux de livres et de cartes imprimées en quête d'un secret à la portée de tous et n'attendant pour être percé que les flèches d'une lecture correcte : LE TAROT DE MARSEILLE.
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