La voyance professionnelle
J'ai été voyant professionnel pendant quelques mois. Juste le temps nécessaire pour me rendre compte que cette situation ne me convenait pas et qu'elle n'était d'ailleurs pas très enviable. Il me fallait prendre du recul pour resituer le contrat voyant-consultant dans un contexte plus juste, plus clair.
Il ne suffit pas d'être bien intentionné pour apporter de l'aide aux autres. L'intuition et la maîtrise d'une technique divinatoire ne suffisent pas non plus. Il faut savoir/pouvoir gérer la relation à l'autre tant du point de vue psychologique que du point de vue strictement humain. Or, quels sont les professionnels de la voyance qui disposent de tous les atouts nécessaires pour mener à bien un tel échange ? Comment dépasser la prise de pouvoir sur l'autre en lui apportant des réponses justes et utiles sans le décevoir ? Comment satisfaire ce besoin de magie du demandeur sans lui mentir ? Où et comment apprendre tout cela ? Voilà quelques questions qui méritent des réponses, à mon sens, avant de s'autoriser à intercéder dans la vie d'autrui.
La voyance professionnelle est un métier qui ne s'apprend dans aucune école. Or, qui accepterait d'être soigné par un médecin sorti de nulle part ? Qui confierait un litige juridique à un avocat improvisé ?
A l'époque (1999), j'avais réagi de manière virulente dans la presse pour souligner les dangers et les dérives de la voyance professionnelle telle qu'elle est le plus souvent pratiquée de nos jours. De nombreux confrères ont cessé de m'adresser la parole depuis ce jour-là, je peux comprendre leur réaction. Je m'étais attaqué à leur gagne-pain et, pour une fois, le commentaire critique provenait de l'intérieur de la profession.
D'autres, plus rares, ont su comprendre mon coup de gueule et ont fait preuve de compréhension, de fraternité et m'ont guidé vers plus de sagesse et de mesure. A tous ceux-là, je dis merci.
Il m'a été difficile de renoncer à une vocation ou tout au moins à une activité que j'aime par dessus tout. Mais je ne pouvais pas continuer de prendre le risque de nuire à ceux qui me consultaient. L'acte divinatoire lui-même, tel qu'il est perçu par la majorité des consultants, pose problème. Ces derniers viennent consulter presque toujours dans une situation de détresse. Comment alors être sûr de pouvoir les aider à avancer par des prédictions qui ne se réaliseront peut-être jamais ? En soi, prédire c'est imposer un futur à l'autre, un futur qui n'est peut-être pas le sien. Nombreux sont, en effet, les consultants qui se conforment avec une foi aveugle aux dires du voyant, passant ainsi à côté des opportunités de la vie non-prédites. Cela est intolérable.
Je crois nécessaire de reposer la relation duelle sur des bases plus saines. Entamer la consultation sur un mode plus ludique, mettre en évidence les limites de l'acte, tout en gérant avec beaucoup de bon sens et d'amour, de patience et d'attention les questionnements du consultant. Voilà déjà un début de réponse à mes craintes de l'époque. Hélas, rares sont les consultants capables d'accepter d'emblée ce type de contrat. C'est donc toute une culture de la voyance qu'il faudrait revisiter. En considérant la consultation sur un mode ludique, ce qui ne veut pas dire que la démarche ne sera pas sérieuse, le consultant se protège déjà beaucoup et du même coup le professionnel gagne en confort de travail. Cela peut paraître au lecteur une démarche étonnante, ou même insensée, pourtant le jeu est souvent associé à la notion d'argent, alors pourquoi pas là non plus ? Pourquoi ne pas envisager l'acte divinatoire comme un jeu ? Ce qui sous-entend que parfois il faille perdre... N'est-ce pas plus reposant et plus rassurant pour les deux parties ? Je reste convaincu que chacun y gagnera en qualité et en bienfait. C'est un point de vue personnel et, à ce titre, il n'est à prendre que comme une proposition. La question de la rémunération reste posée. Considérons alors que le consultant rémunère le temps passé par le professionnel qui lui vient en aide plutôt qu'une prestation particulière. Chacun sait bien aujourd'hui qu'un professionnel doit faire face à des charges très importantes et que, comme tout le monde, il doit vivre et faire vivre les siens.
En se limitant le plus possible à une description du présent dans lequel se trouvent les germes du futur, le professionnel limite les risques inhérents à la consultation classique de voyance. En proposant des futurs possibles et non pas des évènements inéluctables, la qualité de l'échange croît. En entamant un dialogue avec l'autre au lieu d'imposer un monologue ponctué de mots tranchants et dangereux sans en avoir l'air, les risques diminuent. Car il est facile de blesser sans le vouloir, les mots sont parfois des armes. Tout cela et plus encore, certainement, doit être pris en compte. Autant dire qu'il faut une sacrée dose de tact, de savoir-faire et de maîtrise de soi pour approcher une relation de qualité dans un cadre divinatoire. Considérant que je ne disposais pas de tous ces éléments, j'ai préféré mettre un terme à mon activité. Pour avoir beaucoup fréquenté « le milieu », je peux dire que nombreux sont ceux qui possèdent les même limites que moi. C'est ce qui m'a incité à ce coup de gueule médiatique.
Il n'en demeure pas moins qu'il existe de grands professionnels de la voyance, des personnes généreuses et talentueuses, sincèrement animées par la volonté d'aider autrui. Des personnes rares.
Vous les reconnaîtrez à leur simplicité, leur humilité, leurs doutes. Ceux qui se cachent derrière des tenues fantaisistes et/ou affirment ne jamais se tromper sont suspects, mieux vaut les éviter.
Laurent EDOUARD - Juin 2002.